21 Novembre 2023

Spiritueux : les cognacs Coutanseaux aîné lancent leur reconquête du marché français depuis Aix-en-Provence

LA PROVENCE - Guénaël LEMOUÉE

Lundi 20 novembre, la petite et très exclusive maison de négoce cognaçaise a organisé une soirée de promotion dans le non moins exclusif hôtel, restaurant et domaine viticole aixois du château de la Gaude.

Le cognac n'est pas prophète en son pays. C'est à l'export que se vend 97% de la production de cette eau-de-vie française haut de gamme. Les producteurs tentent de réinvestir le marché intérieur. La petite maison Coutanseaux aîné a ainsi mené une soirée de promotion lundi 20 novembre à Aix-en-Provence, dans l'écrin du domaine viticole et complexe d'hôtellerie et de restauration de luxe du château de la Gaude. Une première nationale pour la marque, qui devrait être suivie d'autres rendez-vous en France.

Il y a, depuis des décennies, comme un paradoxe français au royaume des eaux-de-vie. Alors que l'Hexagone est reconnue pour compter en son sein parmi les meilleurs distillateurs du monde et produire des spiritueux de raisin d'une grande finesse, ce sont toujours les alcools de grains, whisky en tête, qui y dictent leur loi, tout juste défié depuis une dizaine d'années par la mode du rhum.

Ce qui fait les affaires des maisons écossaises, voire des cousins antillais et réunionnais pour les eaux-de-vie de canne sucre, n'arrange pas vraiment les producteurs des Charentes pour le cognac ou du Gers et des Landes pour l'armagnac. Si ce dernier spiritueux peine encore plus à trouver son marché, le cognac a, depuis la fin des années 1990, contourné le problème en se tournant massivement vers l'export.

97% de la production part à l'export

Russie (avec les évidents contrecoups du conflit en Ukraine), Chine (marché hautement versatile) et surtout Etats-Unis, où les stars du rap se sont entichés du brandy français et ont fortement participé à sa notoriété, ont, depuis, assuré le train de vie du cognac.

"97 ou 98% de la production part à l'étranger, confirme François de la Giraudière, directeur d'une petite maison de négoce en plein renouveau, Coutanseaux aînéEn 2021, on est même devenu le premier business export français devant l'aéronautique (qui a repris sa place de leader aujourd'hui, le cognac restant 2e)." Chaque année, environ 200 millions de bouteilles de la précieuse eau-de-vie quittent la France pour rejoindre quelque 150 pays à travers le monde.

Outre les effets de mode façon rap US, cette internationalisme cognaçais a des racines historiques profondes, rappelle François de la Giraudière : La Charente était "une terre huguenote. A la révocation de l'édit de Nantes (par Louis XIV, qui réaffirmait alors que la France n'était que catholique, NDLR), beaucoup de protestants ont fuit à l'étranger, en Angleterre notamment. Mais les liens avec leur terre d'origine sont restés et le marché du cognac s'est alors internationalisé via l'Angleterre".

A l'étranger ou dans l'Hexagone, l'important est, certes, toujours de vendre. Mais tourner autant le dos à son terroir de naissance présente, outre un aspect paradoxal, de possibles fragilités, dès qu'une guerre commerciale s'amorce ou que de nouvelles réglementations protectionnistes se mettent place.

Les producteurs de cognac l'ont bien compris mais peinent à regagner des parts de marché intérieur. Ils s'y emploient pourtant de plus en plus. Et les choses semblent enfin bouger. Le marché français représente désormais le 5e débouché de la filière, avec 5 millions de bouteilles écoulées, toutefois loin derrière les 113 millions de cols vendus aux Etats-Unis (source : Bureau national interprofessionnel du cognac).

Accords mets et cognacs à La Gaude

Lundi 20 novembre, la maison Coutanseaux aîné a donc invité un petit panel de restaurateurs, sommeliers et journalistes spécialisés a découvrir ses trois cuvées, le XO (assemblage d'eaux de vie de 15 ans pour les plus jeunes à 25 ans pour les plus vieilles), le XXO (25 à 40 ans) et le hors d'âge (de 40 à 120 ans). Un type de rendez-vous inauguré pour la première fois lundi soir à La Gaude mais qui pourrait se renouveler régulièrement ailleurs en France.

Coutenseaux présente un profil particulier dans l'univers du négoce cognaçais. Beaucoup plus petite que les géants du secteur (Hennessy, Courvoisier, Otard, Camus...), ancienne (1767) mais très longtemps en sommeil, elle renaît de ses cendres (et de pièces de cognac précieusement préservées par la famille) depuis quelques mois, sous l'impulsion de son nouveau patron Rodolphe Frèrejean-Taittinger, nom par ailleurs célèbre dans les vins de Champagne.

Coutanseaux aîné ne travaille que les eaux-de-vie de Grande Champagne (rien à voir avec la région de Reims homonyme), le cœur du terroir charentais dont sont issus les cognacs les plus prestigieux. Et, qui plus est, en seulement trois vieillissements donc, présentés dans des flacons audacieux au design très travaillés et originaux. 230 euros pour le XO, 510 euros pour le XXO, 10 000 euros pour le hors d'âge, uniquement vendu en mini-dame jeanne de cinq litres (soit l'équivalent de 1400 euros la bouteille) : "Au regard de notre taille, on est obligé de se démarquer de ce qui se fait pour exister et de parier sur l'exclusivité", explique François de la Giraudière.

Au château de la Gaude, la maison a ainsi proposé un dîner sur le thème des accords mets et cognacs, exercice inhabituel auquel se sont prêté trois chef(fe)s de la région : Julien Diaz du restaurant étoilé marseillais Saisons, Giovanni Facchinetti du restaurant Insitio à Vaugines (Vaucluse) et la seconde de Matthieu Dupuis Baumal au restaurant étoilé de la Gaude, Le Art.

"Accorder la cuisine à une eau-de-vie, c'est un truc passionnant mais compliqué, reconnaît Julien Diaz. On est habitué à la boire en digestif, pas pendant le repas et la force de l'alcool peut masquer le plat. Mais si vous imprégnez juste la bouche, la complexité du cognac (il travaillait autour du XO, qu'il a marié à un risotto au safran), NDLR) vous offre des perspectives incroyables."

Ce n'est sans doute pas dans le cours du repas que le cognac ancrera sa reconquête française et beaucoup de producteurs qui disposent d'alcools plus jeunes (les VS et VSOP) parient plutôt sur le retour en grâce du cocktail et de la mixologie en France pour pousser leurs cognacs.

Mais quel que soit l'angle d'attaque, cette très belle eau-de-vie, obtenu par une double distillation de vin blanc, entend bien faire reparler d'elle dans son propre pays. Et c'est une excellente nouvelle pour tous les amateurs de spiritueux.

Crédit photo - Guénaël LEMOUÉE
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